Avec son triptyque en forme d’ascenseur émotionnel, la productrice de l’écurie Príncipe Discos explore de nouvelles dimensions et réaffirme la vitalité de la scène électronique afro-portugaise.
« Nídia est mauvaise, Nídia c’est de la dope ». Telle est la traduction, plus ou moins littérale, du premier album de la beatmakeuse lisboète (Nídia é Má, Nídia é Fudida), qui nous avait asséné un sacré uppercut en pleine face lors de sa sortie en 2017. Pour son premier disque sous la houlette du label Príncipe Discos et sous son nouveau nom (exit Nídia Minaj), elle signait alors un album viscéral, imprévisible et dont la courte durée (vingt-quatre petites minutes au compteur) ne faisait que relever la haute intensité rythmique. Sa propre version de la batida lui avait valu les louanges de la presse spécialisée (du New-York Times à Rolling Stone, en passant par Pitchfork), en plus de lui ouvrir les portes de collaborations pour le moins prestigieuses (Fever Ray, Kelela, Elza Soares entre autres).
Retour aux sources
2020. De retour depuis deux ans dans son quartier d’enfance de Vale da Amoreira, après avoir émigré en France près de Bordeaux, Nídia Borges a retrouvé les siens. C’est justement ce retour à la maison et la cascade d’émotions et de questionnements en tout genre qu’il a déclenché, qui l’ont inspiré au point d’accoucher successivement de trois nouveaux projets, dans trois formats différents. Ainsi, on compte dans l’ordre : son nouvel album Não Fales Nela Que A Mentes, le double single Badjuda Sukulbembe et enfin un EP éponyme de quatre titres. Lors de sa sortie, Nídia déclarait : « Nous devons être plus amicaux et plus humains. Le COVID nous a appris que nous ne sommes personne l’un sans l’autre. Depuis que j’ai cessé de juger et de haïr les êtres humains, ma vie est devenue aussi colorée que le drapeau LGBTQ et aussi ferme que le poing de Martin Luther King ». Un bref aperçu de l’état d’esprit actuel de la productrice, qui irrigue également son triptyque, brouillant continuellement les pistes entre plénitude et effusions sonores cathartiques.
Nager en émotions troubles
Nidia est rentrée au Portugal » pour mes amis et être plus proche de la famille, mais la plus grande motivation c’était la musique et Príncipe, ». C’est ce qu’elle confiait il y a peu dans l’émission Bem-vindos de la chaîne RTP África pour expliquer son retour au Portugal. Il était évident que le besoin de revenir là où tout a commencé se faisait sentir pour elle. C’est donc dans cette optique que ces trois oeuvres distinctes, et pourtant indissociables, ont commencé à prendre forme dans l’esprit de Nídia. Sortis le même jour, Não Fales Nela Que A Mentes (que l’on pourrait traduire par Ne parlez pas d’elle ou vous finirez par mentir à son sujet)* et Badjuda Sukulbembe (qui signifie « petite fille piquante » en créole bissau-guinéen) forment les débuts d’un puzzle que l’EP éponyme viendra compléter seulement deux semaines plus tard. Le regard jeté sur ce triptyque ne permet pas pour autant d’y voir plus clair. Car l’enchevêtrement d’atmosphères radicalement différentes, méditatives ou émouvantes, tumultueuses ou opaques, peut donner à celui qui l’écoute le tournis au point de ne plus savoir sur quel pied danser. Et c’est précisément là, dans cette grande confusion émotionnelle, que se trouve tout le plaisir de la chose.
« Je pense que cet album est plus calme que le précédent, qui était beaucoup plus agité, plus dansant. Celui-ci est plus serein. J’ai retrouvé mes amis, je suis plus calme, je suis plus heureuse, et c’est un peu tout ça que j’ai essayé de transmettre à travers la musique », analysait Nídia dans l’émission précédemment citée. Mais si Não Fales Nela Que A Mentes et Badjuda Sukulbembe forment les deux faces d’une même pièce, tout en sereine quiétude, il se distinguent de Nídia, le troisième volet aux doigts branchés dans la prise. Qu’il s’agisse de trap revisitée à sa manière (« Rap Tentativa »), d’afrobeats up-tempo au piano mélancolique ( dans « Cheirinho ») ou bien de décharges techno surpuissantes (« Jam »), la productrice coule la forme de ses beats dans celle de ses émotions ambivalentes, prenant un malin plaisir à défier celui qui tendra l’oreille. C’est justement ce qu’elle annonçait dans un échange avec le média portugais Rimas e Batidas : « Je vais continuer à me défier moi-même et à interpeller tous ceux qui m’écoutent« .
Si le retour à la maison ne fût pas tout rose pour Nídia, « parce que lorsque l’on commence une vie dans un autre pays, retourner dans son pays d’origine, c’est encore plus difficile », il fût à plus d’un titre libérateur et moteur de sa créativité. Enfin, la jeune femme de vingt-trois ans notait avec satisfaction la considération qu’ont accordé le public comme les médias nationaux à son triptyque. Eux qui, il y a peu encore, l’ignoraient, tout comme ses comparses de Principe Discos : « On voudra toujours que notre pays nous félicite plus que les autres. C’est comme si ta mère te disait: « c’est très bien ma fille ! ». Là, le Portugal est en train de dire : « bravo Nídia ». Pas mieux : bravo Nídia!
*tiré du poème « Da Vida… não Fales Nela » de Jorge de Sena